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Reportage

 

Reportage avec Margaux, travailleuse sociale dans les familles auboises en situation de précarité

 

Travailleuse familiale, Margaux accompagne, conseille et encourage les familles en difficulté. Un métier peu connu dont le rôle est renforcé par la crise sanitaire. Nous l’avons suivie un après-midi au domicile de Sandrine et ses filles.

 

Reportage ADAD Aide familiale à domicile

 

Tout déborde chez Sandrine* et ses trois filles. Les émotions, le linge sur les chaises, l’eau dans l’évier. Deux fois par semaine, Margaux pose des digues dans cette famille dans le besoin afin de colmater les fuites d’une vie tourmentée. Elle est technicienne de l’intervention sociale et familiale au sein de l’Association départementale d’aide à domicile de l’Aube. Dans le jargon, on dit « TISF » mais, historiquement, on les appelle les « travailleuses familiales ». Un métier où il faut agir dans la délicatesse, l’écoute et la confiance. Depuis huit ans, Margaux allège et cadre le quotidien de dizaines de familles dans le Nord et Nord-Ouest aubois. « J’essaye d’être dans une méthode douce. »

Ce mercredi après-midi, c’est vaisselle. Hélène, la cadette, débarrasse la table basse. Dans la cuisine, on entend l’eau couler du robinet. Sandrine, la maman, apparaît à travers le passe-plat. Les mains dans l’évier. La voix grave de Margaux couvre la télévision bruyante : « vous avez besoin d’un coup de main ? » Sans attendre la réponse, elle attrape un torchon et essuie les bols, les assiettes et les couverts.

 

« Celle qui explose le plus »

 

Après la mort de son mari il y a quatre ans, Sandrine a perdu la garde de ses filles. Hélène et Pauline, les deux dernières, sont revenues il y a deux ans. Lauriane, la grande, a eu besoin d’une année de plus avant de reprendre sa place au domicile familial. « C’est celle qui explose le plus », lâche sa mère.
« Que peut-on faire pour elle ? », s’interroge Margaux. Au cœur de cette intimité douloureuse, Margaux travaille sur l’hygiène de la maison, l’organisation dans les chambres de filles et le bien-être. Une fée du logis avec un casque bleu sur la tête et un cœur grand ouvert. « On essaye de tempérer », glisse-t-elle pudiquement.

Dehors, c’est le printemps. Le moteur de la tondeuse du voisin vrombit à travers la porte-fenêtre entrouverte. La bonne humeur règne. Assise dos à sa mère, Pauline, la benjamine, tient sa main droite recouverte d’un bandage. Elle s’est bloquée deux doigts à la gymnastique ce matin. Devant son nez, un paracétamol se dilue dans un verre d’eau posé sur la table au milieu des miettes. « Elle se blesse tout le temps », se désespère sa mère en levant les yeux au ciel. Hélène, l’autre sœur, est encore perturbée par une remarque de son maître de stage de 3e. « Je lui ai avoué que je voulais être maître-chien mais il m’a dit que je n’ai pas la carrure. » « – Qu’est-ce qu’il en sait ? Il est boulanger… », la défend Margaux, attentive au ressenti de chacune. Pendant ce temps, Sandrine jette dans l’évier les couverts, agacée et dépassée.

 

« Elles me confient énormément de choses. J’accumule, j’absorbe, c’est lourd au quotidien. »

 

Au-dessus du bar en bois, un tableau rappelle les règles de vie à la maison : « on ne crie pas, pas de gros mots, on respecte les autres, on rigole ensemble, on respecte les règles de politesse ». « Maman, ça va où ça ? », demande Hélène

en brandissant la plaque à pizza. « Dans ton c… ! », crie sa mère en plaisantant. Buvant à petites gorgées son médicament, Pauline déglutit et grimace. « Allez, finis ton verre ! », l’encourage gentiment Margaux.

Les bacs de l’évier débordent encore plus que tout à l’heure. Margaux reprend les choses en main. Dégraisse et nettoie la plaque de cuisson. Accélère doucement le rythme. Sandrine est sous l’eau. Elle tente de déboucher l’évier avec une tige mais abandonne vite. « Tant pis, on va prendre un seau pour vider. » « On est en mode galère là », commente Margaux. Très bavarde cet après-midi, Hélène parle beaucoup de son père. « C’est à cause de lui que je suis devenue maniaque », raconte-t-elle. La mère et ses filles observent la bibliothèque contre le mur du salon. La mélancolie envahit la pièce. Tout en haut de l’imposant meuble, la photo du défunt trône au milieu des prénoms des filles en forme de petits trains en bois. Sandrine propose à Margaux : « J’hésite à le redécorer à la mémoire de leur père. C’est pour elles… » Moue gênée de la TISF : « ce n’est pas forcément une bonne idée. »

La porte d’entrée s’ouvre. Lauriane entre. Les filles se raidissent. Imitant un chien, Sandrine aboie sur son aînée. Margaux intervient avant une éventuelle dispute : « Bon les filles, on se motive à faire des devoirs ? » « On prend d’abord un goûter », insiste Pauline avant de verser des céréales dans un bol pendant qu’Hélène se prépare un lait au chocolat. « Vous mangez aussi des fruits hein les filles », lance Margaux.

 

« Ses derniers mots, c’est “Je t’aime” »

 

Sandrine a enfin terminé sa corvée de vaisselle, le tee-shirt trempé. C’est la pause. Elle file vers la terrasse pour s’allumer une chicha sur la table en plastique. Branche son enceinte Bluetooth. Un tube des années 2000 résonne quelques instants dehors avant de s’éteindre. Plus de batterie. Sandrine s’agite : « il est où le chargeur ? » Face au plan de travail, Lauriane, la grande, presse une orange. Sa mère arrive derrière elle, par surprise, et lui pince l’oreille : « Dis, la prochaine fois que tu couds un pantalon, tu es priée de ranger tes affaires ».

En finissant leur goûter, les deux petites évoquent les derniers souvenirs de leur père. La télévision se met en veille automatiquement. Fini le téléfilm romantique de TF1. « Papa est mort d’un cancer. Il est resté alité dans le salon avant de mourir à l’hôpital », témoigne Hélène. « Je me souviens de ses derniers mots. C’est : “Je t’aime” », ajoute Pauline.

L’étonnement et l’émotion se lisent dans les yeux de Margaux : « vous m’impressionnez les filles. » Avant de partir, la travailleuse sociale nous avoue en aparté : « elles me confient énormément de choses. J’accumule, j’absorbe, c’est lourd au quotidien. » Comment gère-t-elle toute cette souffrance ? « Une fois que je ferme la porte, je ferme la porte. »

*Les prénoms ont été modifiés.

 

Reportage ADAD Aide familiale à domicile

«TISF», un métier méconnu mais essentiel

 

Le technicien de l’intervention sociale et familiale (TISF) est un travailleur social intervenant auprès des familles et des personnes en difficulté. À partir des activités de la vie quotidienne (éducation des enfants, gestion du budget, santé, alimentation, entretien du logement, etc.), il réalise des actions de prévention et d’accompagnement en présence ou en l’absence des parents. Leurs interventions sont financées par la CAF (maladie, handicap, naissance) et le conseil départemental (PMI, ASE, etc.).

Depuis 2016, les TISF de l’Association départementale d’aide familiale à domicile de l’Aube soulagent également les familles qui ont des enfants handicapés. Ces dernières bénéficient du dispositif « droit au répit », à raison de 50 heures par an et par enfant. Parmi les autres activités

spécialisées figure aussi l’accompagnement de mineurs isolés. C’est le cas par exemple d’Omar qui peut compter sur Catherine, TISF à l’ADAD depuis un an. Elle le guide à raison d’une heure par semaine dans ses démarches administratives ou pour simplement visiter la ville.

Tiré de l’article de L’Est Eclair, rédigé par FRANCK DE BRITO

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